Publication à la revue de droit rural (Lexisnexis) du commentaire de Maître François TANGUY portant sur un arrêt du Conseil d’état relatif à l’usage des mentions dites valorisantes en matière d’étiquetage des vins lors de d’une réunion d’exploitation viticole.
Les questions soulevées sont susceptibles d’intéresser autant les professionnels viticoles que les amateurs d’œnologie.
Image du produit aux yeux du consommateur, moyen de traçabilité pour l’Administration, outil de différenciation entre producteurs concurrents, l’étiquetage des vins est un enjeu de commercialisation majeur pour une filière viticole en perpétuelle évolution.
Rappel des règles applicables pour l’utilisation des mentions dites valorisantes viticoles
- Par principe : une exploitation viticole ne peut commercialiser sa production bénéficiant d’une AOC/AOP/IGP viticole qu’en utilisant une seule mention valorisante au sens de l’article 7 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 (« […] Les mots : « abbaye », « bastide », « campagne », « chapelle », « commanderie », « domaine », « mas », « manoir », « monastère », « monopole », « moulin », « prieuré » et « tour » sont réservés aux vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée issus des raisins récoltés sur les parcelles d’une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation »).
Soit un seul nom de « château », de « domaine », de « clos »… par exploitation (si tant est, bien sûr, que de telles mentions puissent être revendiquées).
- Par exception : en cas de réunion de plusieurs exploitations viticoles donnant lieu à une déclaration de récolte unique (D. n° 2012-655, 4 mai 2012, art. 6), l’article 8 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 permet de conserver le nom de chacune d’elles pour la commercialisation de tout ou partie de leur production respective à condition que soient mises en œuvre des procédures fiables permettant de garantir au consommateur une vinification séparée.
Cette disposition a pour objectif de préserver la diversité du patrimoine anthroponymique des exploitations viticoles françaises malgré la multiplication des regroupements et agrandissements de structures de production.
Sur la décision commentée :
En l’espèce, une société d’exploitation viti/vinicole produisant un vin commercialisé sous le nom « Château X » avait pris à bail deux autres exploitations dont les productions étaient commercialisées sous les noms respectifs de « Château Y » et « Château Z ». Elle entendait poursuivre la commercialisation des vins produits sous les trois vocables existants.
La Dirrecte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, devenue depuis le 1er avril 2021 la Dreets : Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) lui a enjoint de supprimer dans un délai de 2 mois les mentions « Château Y » et « Château Z » de l’ensemble de ses bouteilles.
La cour administrative de Marseille a confirmé la décision du préfet estimant que l’exploitation unique ne pouvait se prévaloir de la dérogation des réunions d’exploitations sus-décrite, faute de justifier avoir repris avec le parcellaire loué les bâtiments d’exploitation : « Pas de bâtiment pas d’exploitation ».
Le Conseil d’État censure ce raisonnement au visa du décret précité, estimant qu’une telle réunion d’exploitations n’exigeait pas nécessairement la reprise par l’entité nouvelle des bâtiments et équipements de l’entité « absorbée ».
La décision est juridiquement cohérente :
- les jurisprudences nationale et européenne n’exigent plus depuis de nombreuses années la présence d’un véritable « château » au sens architectural pour l’utilisation d’une mention valorisante.
- L’article 8 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 tempère lui-même l’importance du bâti en matière de réunion d’exploitations viticoles en admettant l’utilisation du nom de chacune des – anciennes – exploitations réunies, même en cas de production sur un site unique. On en déduit raisonnablement qu’il peut y avoir « exploitation sans bâtiment » (ou à tout le moins avec un seul bâtiment centralisé).
La solution est également pragmatique. Lors d’une réunion d’exploitations, la nouvelle entité ne sera pas tenue de reprendre des bâtiments potentiellement onéreux, surdimensionnés, vétustes, inadaptés ou sans attrait architectural desquels ni le producteur, ni le consommateur n’auraient tiré avantage.
Illustration des effets de la décision :
La société A et la société B sont deux exploitants distincts utilisant respectivement les mentions Château A et Château B pour la commercialisation de leur production.
Société A souhaite reprendre l’exploitation des parcelles de société B sans ses bâtiments.
Société A pourra
- Réunir la production des deux exploitations sous une même déclaration de récolte.
- Commercialiser sous les mentions Château A et Château B les productions issues respectivement des parcellaires des deux anciennes exploitations réunies, sous réserve que leur production – pouvant être réalisée sur un site unique – soit physiquement séparée (cuves distinctes)
- La société A ne sera dès lors pas tenue de reprendre les bâtiments et équipements de la société B
Les producteurs viticoles peuvent solliciter les conseils du cabinet EOST AVOCAT pour toute question relative à la réglementation de l’étiquetage de leur vin notamment à l’occasion de réunion d’exploitations vitivinicoles.
