Contrôle a posteriori de la validité du congé pour reprise d’un bail rural : précision jurisprudentielle

Validité congé reprise bail rural

Civ 3e 3 juillet 2025, 24-12.565

Solution et impact de la décision du 3 juillet 2025

Solution 

Le bénéficiaire d’un congé pour reprise peut valablement exploiter les parcelles dans le cadre d’une société d’exploitation agricole au sein de laquelle il participe aux travaux personnellement et de manière effective, et ce, même si l’existence de cette société n’a pas été mentionnée dans le congé.

Impact 

La Cour de cassation apprécie avec davantage de souplesse la validité du congé pour reprise dans le cadre de son contrôle a posteriori (après sa date d’effet) qu’a priori.

Ce qu’il faut savoir sur le contrôle a posteriori de la validité du congé pour reprise d’un bail rural 

Quantitativement moins nombreuses que les litiges relatifs à la validité a priori des congés, les contestations fondées sur un manquement a posteriori du bénéficiaire de la reprise sont généralement le théâtre de contentieux aux enjeux économiques sensiblement plus conséquents.

Pour mémoire, dans le cadre d’un congé pour reprise, le bénéficiaire est tenu pendant une durée d’au moins neuf années de mettre en valeur personnellement et de manière effective les biens ruraux jusqu’alors pris à bail (article L.411-59 du code rural et de la pêche maritime).

En cas de méconnaissance de cette obligation légale, le preneur congédié peut saisir le tribunal paritaire des baux ruraux pour solliciter sa réintégradation et/ou l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L.411-66 du code rural et de la pêche maritime.

Le droit de reprise étant susceptible de causer d’importants préjudices à l’exploitation agricole du preneur, l’exercice d’une telle action indemnitaire ou en réintrégration est potentiellement lourde de conséquences pour le bailleur sur lequel pèse une véritable épée de Damoclès pendant près d’une décennie.

Le cas d’espèce rencontré en matière de reprise d’un bail rural

Dans le cadre de la présente affaire, le preneur, pour solliciter judiciairement l’octroi de dommages et intérêts, a soutenu que le bénéficiaire de la reprise avait commis une fraude et un manquement à cette obligation en exploitant les parcelles litigieuses dans le cadre d’une société agricole non mentionnée dans le congé rural au sein de laquelle il n’était pas l’unique associé exploitant.

Ce grief s’inspirait très probablement d’une jurisprudence de la Cour de cassation, initiée par un arrêt de 2014 (Civ 3e 12 mars 2014 n°12-26.388) puis renouvelée (Civ 3e 10 septembre 2020 n°19-15.511 ; Civ 3e, 9 septembre. 2021, n° 19-24.542) selon laquelle encourt l’annulation comme ambigu le congé pour reprise ne permettant pas au preneur de déterminer à la lecture de l’acte quel serait « le régime d’exploitation, individuel ou en groupe avec d’autres associés » du bénéficiaire de la reprise.

Ainsi, en cas de contentieux, s’il est révélé lors du contrôle a priori de la validité du congé que le bénéficiaire de la reprise a l’intention de mettre en valeur les parcelles dans le cadre d’une mise à disposition au profit d’une société, le congé est annulé s’il ne précise pas de manière explicite ce projet d’exploitation sociétaire. 

L’annulation ne sera encourue que si ce défaut d’information dont le preneur n’avait pas connaissance est de nature à l’induire en erreur sur les conditions de la reprise future.

Purement prétorienne, cette exigence formelle nullement imposée par le législateur est vivement critiquée par une partie de la doctrine comme excessivement protectrice du preneur (Droit rural n° 497, Novembre 2021, comm. 238, Lexisnexis).

L’article L.411-63 du code rural et de la pêche maritime autorise pourtant expressément le bénéficiaire du droit de reprise « à faire apport du bien repris [avant l’expiration du délai de neuf ans] à un groupement foncier agricole [exploitant ou non], à la condition de se consacrer personnellement à l’exploitation des biens de ce groupement dans les conditions mentionnées aux articles L. 411-59 et L. 411-60. »

Un arrêt qui emprunte une autre voie 

L’arrêt présentement commenté du 3 juillet 2025, s’écarte de cette jurisprudence rigoureuse et retient, pour rejeter les demandes du preneur que «  si l’article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime obligeait le bénéficiaire de la reprise à se consacrer à l’exploitation du bien repris, il lui permettait de le faire soit à titre individuel soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale […] peu important que, dans le congé, il n’en ait pas informé le preneur. »

Si cette décision doit être saluée en ce qu’elle protège la liberté d’entreprendre du bénéficiaire de la reprise – libre d’exercer individuellement ou sous forme sociétaire sous réserve d’exploiter personnellement les biens repris –.

La distinction, désormais opérée par la Cour de cassation entre le contrôle a priori et a posteriori des conditions formelles de ce type de congé, est source d’incohérence et d’insécurité pour les parties.

Il convient en effet de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’annulation du congé devrait être prononcée lors du contrôle a priori lorsqu’est révélée l’intention du bénéficiaire d’exploiter personnellement dans des conditions non mentionnées dans le congé, alors qu’une telle situation ne ferait l’objet d’aucune sanction si elle était découverte durant les neuf années suivant la reprise.

Une clarification de cette situation paradoxale serait en conséquence bienvenue.

 L’énoncé du moyen de la décision du 3 juillet 2025

« Enoncé du moyen

  1. M. [V] et l’EARL font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts et d’expertise, alors :

« 1°/ que méconnaît son engagement d’exploiter personnellement les terres durant neuf années le bénéficiaire d’une reprise qui, sans l’avoir préalablement mentionné dans le congé délivré au preneur, met à disposition d’une société agricole dont il n’est pas le seul associé exploitant les parcelles qu’il s’était engagé à exploiter personnellement ; qu’en jugeant, pour écarter toute indemnisation de M. [V] dans le cadre de la contestation a posteriori des conditions de la reprise, après avoir constaté que M. [I], qui avait pris l’engagement d’exploiter personnellement les parcelles durant 9 ans dans le congé, avait mis à disposition de la Scea d’Outre-l’eau constituée avec son fils [D] [I] également exploitant les parcelles concernées par la reprise litigieuse, que le bénéficiaire de la reprise n’avait pas ainsi enfreint l’article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime lui permettant de se consacrer à l’exploitation du bien à titre individuel ou au sein d’une société, la cour a violé les articles L. 411-47, L. 411-59 et L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que commet une fraude aux droits du preneur, le bénéficiaire d’une reprise s’étant engagé à exploiter personnellement les terres qui, sans l’avoir préalablement mentionné dans le congé délivré au premier, met à disposition d’une société agricole dont il n’est pas le seul associé exploitant les parcelles reprises ; qu’en jugeant, pour écarter toute indemnisation de M. [V] dans le cadre de la contestation a posteriori des conditions de la reprise, après avoir constaté que M. [I], qui avait pris l’engagement d’exploiter personnellement les parcelles durant 9 ans dans le congé, avait mis à disposition de la Scea d’Outre-l’eau constituée avec son fils [D] [I] également exploitant les parcelles objets de la reprise litigieuse sept ans après la date d’effet du congé, que cette mise à disposition ne constituait pas davantage une fraude aux droits du preneur évincé dans la mesure où le bénéficiaire poursuivait toujours l’exploitation personnelle des terres, la cour d’appel a violé les articles L. 411-47, L. 411-59 et L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

  1. La cour d’appel a relevé que M. [I] avait mis les quatre parcelles reprises à la disposition de la société civile d’exploitation agricole d’Outre-l’eau, constituée avec son fils, également exploitant, que cette société, alors en cours de constitution, avait sollicité le 17 février 2022 une autorisation d’exploiter, que M. [I] était associé exploitant majoritaire quasi-exclusif de cette société, avec 1 896 parts sur 1 897, la dernière part étant dévolue à son fils, que cette association, débutée près de sept ans après la date d’effet du congé préfigurait le transfert à terme de son exploitation, au delà des neuf années suivant la reprise, comme il l’avait annoncé lors des débats le 16 octobre 2018 devant la cour d’appel, saisie de la demande en nullité du congé.
  2. Après avoir rappelé, à bon droit, que, si l’article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime obligeait le bénéficiaire de la reprise à se consacrer à l’exploitation du bien repris, il lui permettait de le faire soit à titre individuel soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale, et constaté que M. [I] poursuivait toujours l’exploitation personnelle des terres, elle en a exactement déduit que ce dernier n’enfreignait pas ce texte et que cette mise à disposition ne constituait pas davantage une fraude aux droits du preneur évincé, peu important que, dans le congé, il n’en ait pas informé le preneur.
  3. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;[…] »